La Route de la Ruine? Les véhicules électriques et les violations des droits des travailleurs dans les mines industrielles de cobalt au Congo

La Route de la Ruine? Les véhicules électriques et les violations des droits des travailleurs dans les mines industrielles de cobalt au Congo

La Route de la Ruine? Les véhicules électriques et les violations des droits des travailleurs dans les mines industrielles de cobalt au Congo

L’exploitation des travailleurs en RD Congo entache les véhicules électriques Un nouveau rapport révèle des conditions désastreuses, de la discrimination et des salaires extrêmement bas dans les mines industrielles de cobalt

« Les affirmations de l’industrie minière selon lesquelles l’extraction à grande échelle de cobalt au Congo est “propre”, “durable” et “exempte de violations des droits humains” ne sont tout simplement pas à la hauteur de la réalité. Les recherches de RAID et de CAJJ révèlent que le cobalt destiné aux batteries des véhicules électriques repose en grande partie sur un système de maind’œuvre bon marché et l’exploitation de milliers de travailleurs congolais. » Anneke Van Woudenberg, Directrice exécutive à RAID

« L’explosion des ventes de véhicules électriques devrait être l’occasion de sortir la population congolaise de la pauvreté, mais les récits désespérés des travailleurs des mines de cobalt du Congo racontent une autre histoire. Le passage à l’énergie propre doit être une transition juste, pas une construite sur le dos des travailleurs congolais exploités. » Josué Kashal, Responsable du suivi et de l’évaluation à CAJJ

(Londres, 7 novembre 2021) – Une nouvelle étude publiée aujourd’hui révèle des conditions de vie désastreuses, de la discrimination et des salaires extrêmement bas dans certaines des plus grandes mines industrielles de cobalt au monde exploitées par des sociétés minières multinationales en République démocratique du Congo. Le cobalt est considéré comme un minéral essentiel dans les batteries lithium-ion qui alimentent les véhicules électriques (VE). Plus de 70% du cobalt mondial est extrait au Congo.

La demande de cobalt devrait exploser dans les 30 prochaines années, alors que des engagements en faveur du zéro émission nette d’ici 2050 devraient être pris lors de la COP26 à Glasgow. L’accélération de la production de VE est cruciale pour la transition vers une économie à faible émission de carbone. Toutefois, elle semble liée à de graves violations du droit du travail, comme le révèle la nouvelle étude menée dans cinq mines industrielles qui extraient du cobalt au Congo : Kamoto Copper Company (KCC), Metalkol RTR, Tenke Fungurume Mining (TFM), Sino-congolaise des mines (Sicomines) et Société minière de Deziwa (Somidez).

Le rapport de 87 pages « La route de la ruine ? Les véhicules électriques et les violations des droits des travailleurs dans les mines industrielles de cobalt au Congo » met en lumière un système d’exploitation généralisée. Les travailleurs congolais interrogés dans le cadre de l’étude on dit recevoir des salaires très bas et être soumis à des heures de travail excessives, à des traitements dégradants, à de la violence, à de la discrimination, à du racisme, à des conditions de travail dangereuses et à un mépris flagrant des normes de santé de base.

Certains travailleurs ont raconté avoir reçu des coups de pied, des gifles, des coups de bâton, des insultes, avoir été injuriés et tirés par les oreilles. Certains travailleurs ont fait état de graves discriminations et d’abus dans les mines exploitées par des compagnies chinoises. Un travailleur a déclaré « Notre situation est pire qu’auparavant. Les Chinois viennent imposer leurs normes et leur culture. Ils ne traitent pas bien les Congolais. C’est une nouvelle colonisation. »

Les violations du droit du travail sont directement liées à un modèle de sous-traitance selon lequel les travailleurs ne sont pas embauchés directement par les sociétés minières, mais indirectement via des entreprises sous-traitantes. Les chiffres officiels montrent qu’au moins 57% de la main-d’œuvre dans les cinq mines concernées par les recherches est fournie par des sous-traitants. Dans certaines mines, ce pourcentage était nettement plus élevé. Les employés et les responsables des entreprises de soustraitance interrogés ont expliqué que, selon eux, les sociétés utilisent ce modèle comme une stratégie délibérée pour réduire leurs coûts, limiter leur responsabilité en matière de sécurité des travailleurs et éviter que les travailleurs n’adhèrent à des syndicats.

Les travailleurs embauchés par des sous-traitants gagnent des salaires extrêmement bas, souvent bien inférieurs au salaire de subsistance de 402 USD par mois, c’est-à-dire la rémunération minimale pour garantir un niveau de vie décent. Ils ne reçoivent pas de prestations des soins de santé, ou des prestations partielles, parfois à hauteur de 10 USD seulement par travailleur et par mois. Ceci est contraire au droit congolais qui oblige les employeurs à fournir des soins de santé gratuits aux travailleurs et à leur famille à charge.

De nombreux travailleurs ont exprimé leur désespoir de ne pas pouvoir se sortir de la pauvreté. Un travailleur a déclaré « Nous travaillions dur, sans aucune pause, pour 2,5 USD par jour. Si vous ne compreniez pas ce que le patron vous disait, il vous giflait. Si vous aviez un accident, ils vous mettaient à la porte. »

Les conclusions présentées dans le rapport d’étude s’appuient sur 130 entretiens et des recherches détaillées menées pendant 28 mois par l’organisme de surveillance des activités des sociétés basé au Royaume-Uni, Rights and Accountability in Development (RAID), et par le Centre d’Aide JuridicoJudiciaire (CAJJ), un centre d’aide juridique congolais spécialisé dans le droit du travail.

Quatre des cinq mines présentées dans le rapport ont déclaré avoir élaboré des normes internes en matière de droits humains, avoir adhéré à des initiatives du secteur pour une exploitation minière plus éthique ou avoir pris des engagements publics pour promouvoir et défendre les droits de leurs travailleurs. Cependant, la mesure dans laquelle ces engagements sont transposés dans la pratique est souvent peu claire.

Dans leur rapport, RAID et CAJJ tracent le cobalt sur toute la chaîne d’approvisionnement, des cinq mines de cobalt industrielles jusqu’aux fabricants de véhicules électriques, comme General Motors, Renault Group, Tesla, Toyota, Volkswagen et Volvo, entre autres. Ces sociétés en contact avec les consommateurs cherchent souvent à démontrer qu’elles s’approvisionnent en minéraux de manière responsable. Cependant, aucune des initiatives du secteur visant à démontrer que le cobalt est « propre » n’est contraignante pour les sociétés et beaucoup ne traitent pas des problèmes plus larges liés aux droits du travail.

RAID et CAJJ ont appelé toutes les sociétés minières de cobalt et de cuivre opérant au Congo à mettre fin au recours intensif aux entreprises de sous-traitance pour leurs besoins en main-d’œuvre, à payer à tous les travailleurs congolais (embauches directes et indirectes) le salaire de subsistance, et à prendre des mesures immédiates pour répondre aux allégations de violence physique, de racisme et de discrimination à l’encontre des travailleurs congolais. Les organisations ont incité les constructeurs automobiles à mettre fin aux contrats avec leurs fournisseurs de cobalt qui ne prennent pas les mesures adéquates pour remédier à l’exploitation des travailleurs.

Elles ont également appelé à la mise en œuvre de mesures robustes pour créer des incitations au changement et une responsabilité réelle tout au long de la chaîne d’approvisionnement du cobalt. Selon les organisations, ces mesures nécessitent que les gouvernements adoptent des cadres juridiques solides, telle qu’une réglementation de diligence raisonnable en matière de droits humains contraignante – exigeant que les sociétés gèrent les impacts négatifs de leurs opérations sur les droits humains et l’environnement – ainsi que des programmes sectoriels plus solides couvrant les droits des travailleurs.

« L’urgence de la crise climatique exige une action de la part du secteur et des gouvernements, qui ne sacrifie ni les personnes ni la planète”, a déclaré Van Woudenberg. “La production de batteries « éthiques » sans exploitation de travailleurs, sans violation des droits humains ni préjudice environnemental, qui participe à une transition juste et ne reproduise pas les injustices de l’économie basée sur les énergies fossiles, est capitale. »

Notes aux éditeurs :

Les mines et leurs sociétés mères couvertes par l’étude sont les suivantes : (i) Kamoto Copper Company (KCC) de Glencore, (ii) Metalkol RTR de Eurasian Resources Group, (iii) Tenke Fungurume Mining (TFM) de China Molybdenum, (iv) Société minière de Deziwa (Somidez) de China Nonferrous Metal Mining Company (CNMC), dont la compagnie minière publique congolaise Gécamines détient 49 % des parts, et (v) Sino-congolaise des mines (Sicomines), une co-entreprise entre Gécamines et un consortium de sociétés et d’investisseurs chinois.

RAID et CAJJ ont calculé qu’ensemble, ces mines produisaient près de la moitié de l’approvisionnement mondial en cobalt en 2020.

RAID et CAJJ ont calculé le salaire de subsistance à Kolwezi sur la base de la méthodologie du « panier de dépenses minimum » (MEB) utilisée par les agences des Nations Unies.

Pour plus d’informations, veuillez contacter : A Londres, Anneke Van Woudenberg à RAID au +44 (0)77 1166 4960 ou woudena@raid-uk.org ; twitter : @woudena ; Suivez RAID sur Twitter à: @raidukorg ou sur Facebook À Kolwezi, Josué Kashal (français/ swahili) à CAJJ au +243 991 303 434 ou kashalkashal@yahoo.fr. Pour plus d’informations sur le CAJJ, voir ici. Pour plus d’informations, veuillez consulter : Le résumé du rapport en français est disponible ici Le rapport complet (anglais), « La route de la ruine ? Les véhicules électriques et les violations des droits des travailleurs dans les mines industrielles de cobalt au Congo » – cliquez ici. Correspondance entre RAID / CAJJ et les compagnies minières voir ici; avec les fonderies et raffineries voir ici, et avec les constructeurs automobiles, voir ici. __________________________________________________________________________________ Témoignages d’abus : Ces témoignages, décrits plus en détail dans le rapport, ont tous été recueillis lors d’entretiens menés entre octobre et décembre 2021. ** « Si vous êtes directement embauché par la mine, ce n’est pas grave, mais pas si vous êtes embauchés par les sous-traitants. Même si nous travaillons pendant des années, ils ne nous aident pas. [Avec les sous-traitants] nous perdons notre travail et c’est tout. Quand on travaille, on veut se préparer pour la retraite, mais c’est impossible. Ceux qui sont embauchés par les mines gagnent plus et reçoivent leur solde final. » – Travailleur chez un sous-traitant de KCC ** « Lorsque [d’autres travailleurs et moi] avons écrit une lettre pour nous plaindre [d’avoir été transféré d’un sous-traitant à un autre sans recevoir notre solde final], nous avons reçu des menaces de la parts de notre superviseur à TFM. Il nous a dit que nous devions accepter notre nouveau contrat, sinon il nous remplacerait. Il a dit que ce que nous avons fait – écrire une lettre – pouvait envoyer des gens à la morgue. Il a appelé les personnes qui ont signé la lettre et nous a dit de ne pas causer de problèmes, de ne pas réclamer nos salaires manquants. » – Travailleur chez un sous-traitant de TFM ** « Ce sont nos minéraux – ils ne sont pas infinis. Une fois qu’ils seront tous exploités, nous voulons voir des changements. Nous voulons bénéficier de l’extraction de nos propres ressources. Nous voulons que nos vies s’améliorent. » – Travailleur chez un sous-traitant de TFM ** « J’ai peut-être vu dix personnes atteintes [de silicose et d’asbestose] par mois. Je l’ai dit au département des ressources humaines [de Sicomines] et ils m’ont dit de garder le silence et d’arrêter d’en parler. Ils m’ont dit que je devais les informer eux, pas les travailleurs – toujours. Je ne peux pas dire à un travailleur s’il a quelque chose de sérieux. » – Médecin travaillant avec Sicomines et ses soustraitants ** « Je me suis blessé une fois et ils m’ont emmené à l’hôpital sur le site. J’ai dû revenir le lendemain pour me faire soigner, même si j’avais une énorme blessure. Ils m’ont forcé à retourner travailler. Je suis allé au service des ressources humaines pour demander un jour de congé. Mais ils ont refusé parce qu’ils ne voulaient pas enregistrer mon accident – parce que nous avons un objectif pour un certain nombre de jours sans accidents. Donc, si nous avions déclaré mon accident, nous n’aurions pas atteint notre objectif. Il y a eu trois blessures similaires en moins d’un mois. Je ne sais pas s’ils les ont enregistrées. » – Travailleur chez un sous-traitant de Metalkol ** « Les gens restent silencieux parce qu’ils ont peur pour leur emploi. Ils peuvent travailler sans équipement approprié, risquer leur vie, mais ils restent silencieux. » – Travailleur employé par TFM ** « À l’usine, les Chinois sont dans les bureaux, mais dans les mines, il n’y a que des travailleurs congolais. Les travailleurs chinois on toujours des rangs supérieurs. Même si je forme un Chinois, je dois l’appeler Chef ou Patron. C’est une règle officielle. Mon superviseur m’a dit ça le premier jour. Peu importe le poste de la personne dans l’entreprise, je l’appelle Patron, car c’est leur entreprise » -Travailleur employé par Sicomines