Trafic d’êtres humains : les réfugiés ukrainiens dans le piège des petites annonces en ligne
8,3 millions d’Ukrainiens ont fui la guerre depuis le début du conflit en février 2022 et 80% d’entre eux sont des femmes, selon le Haut Commissariat aux réfugiés (HCR). [MIGUEL A. LOPES/EPA]
Lors de discussions au Parlement européen mardi 29 novembre, des députés, ONG et membres de la société civile ont alerté sur l’augmentation des réseaux d’exploitation sexuelle de réfugiés ukrainiens sur internet.
Les propositions « suspicieuses » à l’égard des réfugiés ukrainiens se multiplient sur internet, a déclaré l’eurodéputé Robert Biedron, président de la Commission des droits de la femme (FEMM), lors d’une audition conjointe avec la Commission des libertés (LIBE).
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en février 2022, 8,3 millions d’Ukrainiens ont fui leur pays selon les derniers chiffres du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) et 80% d’entre eux sont des femmes.
« 65% du trafic d’êtres humains concerne les femmes, généralement en vue d’exploitation sexuelle », a rappelé Jo-Anne Bishop, directrice adjointe de l’ONU Femmes Europe, lors de l’audition.
« Les femmes et les filles sont confrontées à des difficultés économiques et à l’insécurité physique », a poursuivi Mme Bishop, avant d’alerter sur le risque « élevé » pour les Ukrainiennes de se retrouver dans des réseaux de prostitution ou dans l’industrie pornographique.
Un risque d’autant plus grand que les trafiquants recrutent de plus en plus « via des plateformes en ligne », a-t-elle poursuivi, ce qui rend la tâche plus ardue pour les autorités en charge de la lutte contre le trafic.
« Il y a de nombreuses tentatives de recruter des femmes et des filles sur les réseaux sociaux », a expliqué Valiant Richey, de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), selon qui « la technologie facilite la demande ».
Or, l’Acte sur les services numériques, ou DSA, soit le texte qui réglemente les plateformes en ligne au sein de l’UE, est « silencieux » sur le trafic d’êtres humains, a relevé M. Richey.
Car, si l’exécutif européen a eu des « réactions fortes » pour protéger les réfugiés des trafiquants, « les textes actuels ne couvrent pas les scénarios actuels », a-t-il regretté.
Un trafic déjà établi
La traite des victimes ukrainiennes est déjà bien établie et des réseaux criminels opèrent entre l’Ukraine et des pays d’Europe et d’Asie centrale. En mars dernier, la Commission a indiqué qu’avant la guerre, les Ukrainiens figuraient parmi les victimes les plus courantes du trafic au sein de l’UE.
Les données de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) montrent qu’en 2018, les victimes ukrainiennes ont fait l’objet de trafic dans 29 pays. Plus de la moitié ont été identifiées en Russie et un quart en Pologne, pays qui a accueilli le plus grand nombre de réfugiés depuis le début de la guerre.
M. Biedron a précisé insister auprès d’Europol pour multiplier les échanges d’informations afin de mieux protéger les Ukrainiennes.
Depuis le début du conflit, les viols de femmes ukrainiennes ont augmenté de 260%, selon l’agence de presse Reuters.
La directrice Europe d’ONU Femmes a appelé l’UE à intensifier sa lutte contre le trafic d’êtres humains, en soutenant les organismes de protection des femmes présents sur le terrain.
« Ce sont des éléments importants de la stratégie contre le trafic », a-t-elle souligné, avant d’appeler également au financement des structures dédiées aux femmes victimes de violence.
Exploitation au travail
Au-delà de l’exploitation sexuelle, les associations ont mis en garde les députés européens contre une autre forme d’exploitation sur les réseaux : l’exploitation dans le monde du travail.
Légalement, les Ukrainiens ont le droit de travailler au sein de l’UE, grâce à la directive de protection temporaire activée au début du conflit.
Mais « certaines personnes se retrouvent dans un circuit informel », a alerté Suzanne Hoff, de la Plate-forme de coopération internationale sur les sans-papiers (PICUM), citant l’exemple des femmes de ménage.
L’urgence de la situation et la barrière de la langue obligent parfois les réfugiés à accepter un travail non déclaré et sous-rémunéré.
Les autorités de lutte contre le trafic d’êtres humains ont donc appelé l’UE à lutter contre l’exploitation des réfugiés et à élargir la directive de l’UE à tous les autres réfugiés, notamment les Afghans et les Biélorusses.
Car si la directive de protection temporaire a permis de réduire la « vulnérabilité » des réfugiés ukrainiens, il reste encore des « lacunes » et des « abus », a résumé Mme Hoff.
« Des groupes sont exclus de la directive temporaire », a confirmé Conny Rijken, membre du Groupe d’experts sur la lutte contre la traite des êtres humains (GRETA).
De son côté, la Commission européenne assure prendre le sujet très à cœur.
Les policiers, les autorités judiciaires et des membres de la société civile ont reçu une formation spéciale pour mieux prendre en charge les victimes.
Que ça soit l’exploitation sexuelle ou l’exploitation au travail, il faut une approche « tous azimuts », a déclaré Diane Schmitt, coordinatrice européenne de la lutte contre la traite des êtres humains lors de l’audition.